L'évolution a d'abord été physique, puis chimique; elle a été biologique pour devenir, avec l'avènement de l'humain, culturelle. Se pourrait-il qu'elle ait maintenant à devenir spirituelle? Que ce soit le défi de l'avenir?
Pour Frédéric Lenoir un virage a déjà été amorcé dans les années 50/60: depuis la spiritualité tend à
l'accomplissement de soi, à la recherche du sens de la vie, d'une sagesse sans
absolu; c'est un travail sur soi pour être mieux ou bien, pour aller vers ce
qui est juste, plus vrai, pour grandir et s'appuyant sur les qualités de l'être
humain. La recherche personnelle s'appuie sur les éléments pratiques de la
spiritualité sans les éléments théologiques; c'est une quête au plus profond de
soi; elle est donc fluctuante, tantôt mystique mais volontiers apophatique car
on a beaucoup trop parlé de Dieu au lieu d'en faire l'expérience… La spiritualité est surtout une hygiène anti-stress pour mieux habiter l'instant présent et réduire ainsi nos angoisses.
Faut-il alors opposer les approches laïques des approches religieuses?
Pas nécessairement (voir le menu religion ou spiritualité).
Nous devrons par contre prendre en compte notre fragilité ontologique car tout est subjectif, tout est relatif et toute vérité est à fonder sur nos raisons de vivre et d'espérer elles aussi forcément subjectives. Ne lisons-nous pas la réalité à travers les filtres d'encodages de nos expériences et de nos souvenirs? Vouloir le nier est du plus haut comique, l'oublier est du plus haut tragique !
Et dans notre lecture de la réalité, nous aurons à définir nos liens à une transcendance: le mot religion de religere peut signifier cueillir, rassembler ou être dérivé de religare qui signifie lier, relier. Y a-t-il une présence, une force, une intelligence, un au-delà à l'humain qui peut être cueilli, peut nous rassembler, auquel nous sommes liés et reliés ? Que faudrait-il pour cela ? Deux choses assurément:

Et rappeler avec Paul Ricœur que l’absolu équivaut à l’altérité absolue, à ce qui transcende notre expérience habituelle et nos constructions intellectuelles spontanées. L’absolu n’est pas forcément divin, mais le divin intervient dans l’histoire en tant qu’absolu, en tant qu’altérité radicale. Or l’absolu se présente sous la forme d’un témoignage, dans la mesure où il apparaît non pas comme une présence triomphante et irrécusable mais comme un appel, comme la proposition d’un monde inédit. Il se présente donc de manière strictement non autoritaire. Pour Ricœur, croire, ce n’est pas adopter une attitude de soumission et de fidélité aveugle, mais c’est reconnaître la fiabilité du témoignage dans le cadre d’un examen critique. On reconnaît un vrai témoignage à sa puissance d’innovation. et j'ajouterais, à sa puissance de libération !
Une spiritualité bien pensée se mesurera à sa puissance d'innovation et à sa puissance de libération. Elle devra nous permettre de sortir des aliénations courantes.
1. Nous aurons à sortir de l'égocentrisme: L'homme enfermé en lui-même, réduit à son individualité naturelle, immergé dans les soucis de la vie temporelle, s'aliène aux nécessités de la survie : s'installent la peur de manquer, l'angoisse de l'insécurité, la hantise de la solitude, qui trop souvent font prendre des décisions qui engendrent des conséquences fâcheuses et alourdissent le fardeau du quotidien. Cette aliénation au monde visible, extérieur à cet univers clos où tout est référé à nos perceptions et à nos conceptions, c'est le mouvement de l'égocentrisme.
2. Nous aurons à quitter la course effrénée à la satisfaction de nos besoins de sécurité, de confort matériel, de puissance, de gloire, de richesse et de jouissance...
3. Nous aurons à lutter contre l'insatisfaction: " L’homme qui ignore le sens de son être ne pourra que ressentir une insatisfaction profonde qui le ronge. Sauf à se soumettre pour n’être qu’un automate intégré aux institutions régnantes, il la combat par l’avidité du pouvoir et la volonté de détruire ; il s’attache aux choses sans doute, mais surtout à autrui où il projette ses déceptions et ses rancœurs. L’être humain est alors l’être qui massacre. Il dépouille, il tue à défaut d’être parce qu’il y trouve la justification de son moi dans l’appropriation, l’exploitation ou l’abolition de ce qui s’y oppose (Jean-Marie Delassus)."
4. Nous devrons affronter courageusement nos peurs viscérales:
La peur de l’inconnu : L’être humain a une tendance naturelle à préférer ce qu’il connaît.
La peur du rejet : C’est la peur d’être ridiculisé, ignoré ou mis de côté. Le besoin d’être accepté par son groupe est un besoin vital. Cette peur d’être exclu est profondément ancrée dans notre inconscient du fait qu’autrefois la survie d’un individu reposait sur son appartenance au groupe (nourriture, territoire, etc).
La peur de se tromper : Il arrive souvent que nous évitons d’agir ou de prendre une décision parce que nous doutons de la pertinence de nos choix.
La peur de l’échec : Elle est très liée avec la peur de se tromper. Cette peur est omniprésente et très forte dans nos sociétés occidentales où règne une délétère dictature de la performance. Elle est moins présente dans les sociétés qui donnent plus de place et d’importance à la spiritualité.
La peur de réussir : Oui de réussir, vous lisez juste ! Elle semble paradoxale mais cette peur n’est pourtant pas rare.
La peur du pire : Une phrase absurde dit « espérer le meilleur et se préparer au pire ». Depuis tout petit nous sommes conditionnés à imaginer le pire et à le craindre pour l’éviter.
La peur du changement : Le changement est naturel chez l’être humain. On apprend à lire, marcher, etc de manière à devenir plus indépendant. Mais il est courant de céder à la tentation de privilégier la sécurité.
La peur de l’engagement : Elle est souvent associée aux relations amoureuses. Or, elle peut concerner les différents autres aspects de votre vie comme le travail, la famille.
Néanmoins, toutes ces peurs sont des ajustements à nos environnements et des réponses fictives à une réalité imaginaire et construite. Nous aurons forcément à nous confronter à nos plus grandes peurs, à ce que Gregg Bradden appelait la Nuit de l'âme...
5. Accepter que tout nous situe entre rêves et réalités, entre l'utopie et le réalisme, entre la vie et la mort, l'espérance et le désespoir. Il y a une tension irréductible très bien imagée par Marie-Paule:
" La mort, c'est moi qui écrase les autres. La mort, c'est toi qui étouffes l'autre. La mort, c'est lui qui empêche l'autre de s'exprimer, de vivre...La mort, c'est nous qui refusons que les autres soient différents de nous. La mort, c'est vous qui cataloguez, qui fichez l'autre et sa manière d'exister.Mais la vie, c'est moi qui espère malgré les échecs. Mais la vie, c'est toi qui rencontres l'autre. Mais la vie, c'est lui qui respire la joie, l'amour. Mais la vie, c'est nous qui sommes réunis pour partager nos différences.. Mais la vie, c'est tout simplement vous tous qui possédez dans le coeur et dans les yeux la joie de vivre."
6. Une spiritualité bien pensée devra nous permettre de quitter la fascination du Soi idéal.
Lise Bourbeau le dit ainsi: " S’accepter véritablement signifie accepter tout ce que nous considérons comme négatif à notre sujet. C’est reconnaître que nous avons des faiblesses, des peurs, des blessures, que nous sommes parfois incompétents, etc.
Atteindre l’état christique ne signifie pas agir toujours PARFAITEMENT, c’est-à-dire n’avoir que des comportements positifs et des attitudes positives. Cela est utopique. Personne ne peut y arriver. D'ailleurs, nous avons besoin de vivre autant les aspects positifs que négatifs de nos attitudes afin de savoir si nous nous acceptons véritablement. Le plus merveilleux dans tout ça est que plus nous acceptons d’être ce que nous ne voulons pas être, plus nous devenons ce que nous voulons être.
En terminant, je vous rappelle qu’accepter n’a rien à voir avec être d’accord. Accepter vient de la dimension spirituelle alors qu’être d’accord, qui signifie avoir la même opinion, vient de la dimension mentale. Une opinion est toujours basée sur ce qui a été appris dans le passé tandis que l’acceptation se manifeste en pratiquant les lois de l’amour véritable."
7. Apprendre - comme le défendait Paul Ricoeur - à équilibrer une éthique de l'utopie avec une éthique de la responsabilité et un devoir démocratique de résistance. Le défi spirituel invite à un équilibre entre le pour soi et le pour tous: une action solidaire en fait partie, toujours évidemment, dans la dynamique du don librement consenti... Et pour cela, il faudra apprendre à" Passer du besoin au désir, du charnel au spirituel, c'est aller vers la joie de tout l'être et non pas vers la satisfaction d'un besoin partiel. Pour y arriver, il faut quitter le jeu des identifications stériles à la vie des autres ou à leur personne. Aimer c'est engendrer, susciter, éveiller, réveiller. C'est le contraire de vivre en circuit fermé, de posséder pour soi: richesse, savoir, pouvoir (Françoise Dolto)."
Sans être exhaustifs, ces différents points sont incontournables et suffisamment précis pour nous inciter à soumettre nos convictions à ces défis en prônant une tolérance existentielle:
Nous serons ainsi toutes et tous en quête d'une vérité crue, confessée, attestée, vécue et expérimentée. Chaque vérité aura ses lourdeurs et ses légèretés. Si je crois par exemple que l'univers est une machine phénoménale à combiner les possibles en fonction de lois connues ou inconnues, du hasard et de coïncidences heureuses, alors il me faudra faire avec un humain à considérer comme une sorte de robot biologique sophistiqué inscrit uniquement dans une lutte pour survivre dans un environnement hostile ! Si au contraire nous croyons en un Esprit intelligent et conscient la Matrice de tout - nous pouvons envisager avec cet Esprit un partenariat créatif. Mais aucune spiritualité ne saurait se déclarer supérieure par exemple au nom d'une vérité révélée. Acceptant de jouer le jeu, la spiritualité chrétienne se construira notamment autour du paradoxe du pécheur pardonné qui mène une bataille essentielle
Le patriarche Athénagoras, ancien chef suprême de l’Église orthodoxe grecque, décédé il y a quelques années, le disait fort bien : « La guerre la plus dure, c’est la guerre contre soi-même. Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible. Mais je suis désarmé. Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur. Je suis désarmé de la volonté d’avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres, je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses. J’accueille et je partage. Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets. Si l’on m’en présente de meilleurs, ou plutôt non, pas meilleurs, mais bons, j’accepte sans regret. J’ai renoncé au comparatif. Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur. C’est pourquoi je n’ai plus peur. Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur. Si l’on désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre au Dieu-Homme qui fait toutes choses nouvelles, alors Lui efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible. »

Le pécheur pardonné est appelé à s'inscrire dans ces propos de Françoise Dolto: vivre c'est pécher. S'installer dans le péché, c'est mourir . Il faut dépasser ces états affectifs et ces sentiments d'indignité, de culpabilité…Savoir que tout est grâce, que tout est remis…Savoir enfin qu'aimer c'est engendrer, susciter, éveiller, réveiller. C'est le contraire de vivre en circuit fermé, de posséder pour soi: richesse, savoir, pouvoir.
Il fera bien d'apprendre la beauté du repentir, cette ré-orientation du désir qui s'exprimait par rapport au monde et qui maintenant est orienté vers Celui qui est Source de désir en nous car il est Source de vie et de résurrection, ici compris comme un exil hors du mortifère:
« Cette vie de résurrection telle qu'elle est ouverte par le Christ, commande une manière d'être qui se prépare maintenant en choisissant de vivre une vie de relations marquées par l'anti-puissance, par l'anti-meurtre, par une manière de vivre bénéfique pour autrui. (Georges Haldas)» Ici, espérer, c'est croire en l'aventure de l'amour-agapè fondé et illustré presque à la perfection en Jésus Christ en qui nous pouvons définir le paradigme d'un retournement inégalé à même de nous aider à sortir de la violence cachée dans le désir mimétique et le sacré.
