Basarab NICOLESCU, physicien théoricien au CNRS, résume la situation ainsi: "Le développement de la physique quantique ainsi que la coexistence entre le monde quantique et le monde macrophysique ont conduit, sur le plan de la théorie et de l’expérience scientifique, au surgissement de couples de contradictoires mutuellement exclusifs (A et non-A) : onde et corpuscule, continuité et discontinuité, séparabilité et non-séparabilité, causalité locale et causalité globale, symétrie et brisure de symétrie, réversibilité et irréversibilité du temps, etc."
Le scandale intellectuel provoqué par la mécanique quantique consiste dans le fait que les couples de contradictoires qu’elle a mis en évidence sont effectivement mutuellement contradictoires quand ils sont analysés à travers la grille de lecture de la logique classique »
La question du sens de la réalité est très exactement le serpent qui se mord la queue :
attribuer un sens à la réalité revient à construire une réalité fictive,
imaginaire, qui donne signification et valeur à ce qui nous entoure, à ce que
nous vivons. On peut dire que le sens donné est la réponse à la question du
sens qui elle-même ne se poserait pas si nous n'étions pas aptes à structurer
notre environnement (principe de réflexivité et de circularité).
Cette circularité de la question du sens ouvre un gouffre béant dans la mesure où elle condamne l'homme à l'irrationnel, à l'impossibilité d'atteindre les vérités dernières.
À la suite de Pascal, Thierry Magnin présente les chemins qui conduisent le scientifique et le théologien à « […] sortir de cette « toute-puissance » de la raison seule (sans pour autant négliger ou rejeter la raison, bien au contraire). » La thèse que soutient notre auteur est que le scientifique aujourd’hui ne peut plus prétendre saisir le réel. Il n’en perçoit que des lueurs. Bohr, écrit-il, a montré « […] qu’il était impossible d’éliminer les perturbations dues à la mesure, à l’observation des particules élémentaires. » . « Le réel en soi semble inaccessible non seulement parce que nous en faisons une représentation avec un langage et des concepts humains, mais aussi parce que l’objet de l’observation et de la mesure est une interaction. » . Le scientifique ne peut plus prétendre construire une vérité-correspondance, c’est-à-dire un en semble d’énoncés en adéquation parfaite avec le réel qu’ils représentent. Cet idéal s’effondre au profit d’une « […] vérité-cohérence, qui intègre l’incomplétude de toute science non comme une défaite de la raison, mais comme une condition du progrès des connaissances ! » (p. 73). Le progrès dont il est question est, en particulier, celui que Popper a décrit et analysé et qui conduit chaque énoncé scientifique à n’être qu’un essai pris dans une quête perpétuellement critique de vérité.
Comme le scientifique, le théologien chrétien fait l’expérience de l’incomplétude en reconnaissant au cœur de sa foi quelque chose qui échappe à la raison, qu’il s’agisse de La Trinité ou du Christ vrai homme et vrai Dieu.
La logique du tiers inclus n'abolit pas la logique du tiers exclu : elle restreint seulement son domaine de validité. La logique du tiers exclu est certainement validée pour des situations relativement simples, comme par exemple la circulation des voitures sur une autoroute : personne ne songe à introduire, sur une autoroute, un troisième sens par rapport au sens permis et au sens interdit. En revanche, la logique du tiers exclu est nocive, dans les cas complexes, comme par exemple le domaine social ou politique. Elle agit, dans ces cas, comme une véritable logique d'exclusion : le bien ou le mal, la droite ou la gauche, les femmes ou les hommes, les riches ou les pauvres, les blancs ou les noirs. Il serait révélateur d'entreprendre une analyse de la xénophobie, du racisme, de l'antisémitisme ou du nationalisme à la lumière de la logique du tiers exclu. Ou encore celle qui pousse à accuser Dieu de tous les maux !
Le tiers exclu se fonde également sur les paradoxes. L'École de Palo Alto nous en donne une illustration: Une mère achète 2 cravates pour son fils et lui demande de porter celle qu'il préfère; le fils s'exécute et la mère de s'exclamer "Je savais bien que tu n'aimerais pas l'autre !" La réaction est absurde puisqu'il est impossible de porter 2 cravates si on les aime les 2...
Le point d’accueil nécessaire à la démarche du tiers inclus passe
par la prise en compte d’une altérité fondamentale, de tout ce qui résiste à
nos représentations « quand le réel se manifeste dans des modalités où nos
modes de représentations se révèlent insuffisants » . C’est
ce qui conduit Thierry Magnin à développer ce qu’il nomme la dialectique du
mystère de connaître, mystère qui, en effet, « abolit la frontière entre
le moi et le devant moi ». C’est toute la question de l’implication du
sujet pensant qui est ici abordée avec la nécessité de se situer sur plusieurs niveaux de Réalité. Ainsi, la vie ne se réduit pas à des couples d'opposés: le bien et le mal, le vrai et le faux, la bonté et la méchanceté, la foi et l'incrédulité, Dieu et Diable, etc.
Osons tout d'abord récuser certaines affirmations et convictions douteuses mais courantes:
Dieu ne fera pas magiquement advenir le paradis sur terre en nous l’imposant ; de même Sa volonté ou Ses commandements ne nous sont en rien des contraintes. Le Jugement dernier et la Parousie (l’attente du retour de Jésus) sont des fantasmes humains ; tout comme de nombreuses représentations du divin dont par exemple : Celle du Dieu Sadique qui nous envoie punitions et récompenses pour nous mener à Lui ou éprouver notre foi : il faut Le supplier ou l'émouvoir pour obtenir Son pardon ou Son aide. Et bien comprendre qu'Il a toujours un projet pour nous !
Celle du Grand Sénile à qui il faut dire sans relâche nos attentes et nos besoins, ce qu'Il devrait être et faire en nous, pour nous et pour le monde.
Celle du Grand Indifférent, le Tout Autre inatteignable à qui nous adressons néanmoins, sans grand espoir, nos doléances, nos suppliques et autres déceptions. Il est le Créateur qui s'est retiré de sa création en nous laissant nous débrouiller seuls, non sans nous avoir donné des modes d'emploi et des guides.
Celle du Grand Inquisiteur, l'épicier qui tient les comptes de nos bonnes et mauvaises actions en nous menaçant de son Jugement dernier comme de l'enfer.
Celle de la Chose inconnue qui joue à cache-cache avec nous tout en nous donnant de vagues indices de sa présence.
Celle du Dieu jaloux et colérique qui ne supporte pas qu'on puisse se détourner de Lui et nous demande de nous fondre en Lui uniquement.
Celle du Grand Marionnettiste qui a tout prévu d'avance et tire les ficelles à sa guise en réclamant de nous obéissance aveugle et soumission à Sa volonté.
Celle du Père sévère mais juste qui traite ses enfants selon leurs mérites.
Celle du Grand Narcissique qui voulait se connaître comme perfection dans l’imparfait ou comme absolu dans le relatif.
Celle du Grand Bricoleur qui tente d'équilibrer tant bien que mal les forces du chaos à l’œuvre dans sa création, sans pour autant pouvoir nous en prémunir.
Celle de l'Agent Secret qui œuvre secrètement dans notre vie et dans le monde pour arriver à ses fins.
Celle du Grand Irresponsable qui, au nom de la liberté portée à l'absolu, nous laisse à notre triste sort sans lever le petit doigt.
Celle du Grand Pervers qui nous met devant des défis si hauts que nous ne pouvons qu'échouer.
Celle du Grand Manipulateur qui se fait humain à travers Jésus pour mieux le ressusciter ensuite.
Celle du Grand Ordinateur qui expérimente sans états d'âme tous les possibles des possibles pour en tirer de l'information.
Celle du Grand Mystificateur qui est soi-disant amour et lumière, donc sans obscurité, mais qui n’assume pas la responsabilité du chaos et de la violence inhérente à sa création. Celle enfin du Parfait qui ne supporte pas que nous puissions porter atteinte à sa gloire magnifique, ni lui faire de l’ombre en nous comportant comme des dieux.
Les représentations aberrantes du divin ne manquent pas, reconnaissons-le. Nous continuons ainsi à postuler un Dieu qui conduit l’histoire humaine pour l’amener à son terme, et nous Lui demandons d’agir dans notre vie comme dans notre environnement soi-disant pour le bien de tous. Mais cela constitue une violation du libre arbitre dans lequel naissent tous les délires religieux. Il faut en finir avec ces représentations mythologiques. Un désencombrement est ici indispensable.
Nous avons au contraire à nous souvenir que Dieu est lumière et qu'il n'y a en lui aucune obscurité.
Dans le péché, l'inimitié envers Dieu est hostilité envers notre condition : être cendres et poussière. Je suis en faute…et en fraude. Ce qui n'est pas un manquement à la morale. Seule la foi en la miséricorde divine, son essence, sauve. L'équilibre est dans la conversion en cette potentialité nouvelle de l'amour donnée par grâce. Le salut de l'homme se trouve en dehors de lui, dans une justification forensique; la culpabilité s'engloutit dans l'amour de Dieu ce qui fait que seule l'espérance subsiste.
Le repentir est le premier don de Dieu sur le chemin de la guérison, aspiration à une vie plus haute, à une spiritualisation. Par lui et par la grâce de l'Esprit-Saint va s'opérer une réconciliation avec le Seigneur qui a fait irruption dans le coeur La conscience va s'ouvrir, s'élargir et deviendra apte à écouter, accueillir la Parole qui convient à la croissance intérieure pour la guérison de l'âme.
La grande rupture avec le monde n'est pas au moment de la mort corporelle mais au moment où l'homme accepte la réalité de 1a Présence de Dieu avec lui. À cet instant, l'Emmanuel (" Dieu avec nous ") naît dans le coeur, unit les deux natures (divine et humaine) séparées et opère une re-création de tout l'être.
Il faut dépasser
ces états affectifs et ces sentiments d'indignité, de culpabilité.
Cette Voie - comme le disait Maurice Bellet - est sans voie ; elle est le feu qui veut la Vie, l'expérience de pouvoir vivre sa vie. Chemins différents, inédits et multiples forcément ; chemin transcendant car toujours dans la transgression de l'ordre du monde. L'absolu relationnel sera maintien de tout dans la foi, l'espérance et la charité ; lutte pour sauver le désir, la patience et refuser le désespoir ; aimer comme on peut, comme on sait en essayant de ne détruire en rien ni autrui, ni soi-même ; et se garder de toute haine. Refus d'entrer dans cette violence absolue qui détruit tout, gâche le meilleur, corrompt la vérité ; nous lui préférerons l'impalpable lumière de la joie paisible et forte qui survivra à tout, qui sera encore là par-dessous les effondrements, les détresses apparemment absolues. Joie décontaminée de la destruction. Quand l'esprit et le Christ coïncident, quand ici et maintenant se joue la relation vive et humble qui nous rend proches, paix, parole, naissance en liberté. Tout doit s'effacer de la tristesse de mort.
Le Royaume des cieux ressemble alors à une personne qui se rend compte qu'elle ne viendra jamais à bout de ce qui pèse - la convoitise, la rivalité, la faute, la culpabilité et le perfectionnisme -, qu'elle n'atteindra jamais une image idéale d'elle-même qu'elle croyait nécessaire pour se rendre acceptable et aimable. Elle accueille alors son impuissance radicale; elle s'ouvre ainsi à l'avenir, à la nouveauté, à l'autre/au divin avec confiance; elle renonce à expier son malheur par une vie de fuite, d'hypocrisie, de devoir ou de mensonge. Ici, la dynamique de guérison est bien une résurrection: laisser venir le courage d'oser être soi-même avec ses ombres et ses lumières en faisant face aux autres. Nous voici libérés de notre passe-temps favori qui consiste à tout idéaliser ou à tout diaboliser, à vomir les autres ou à les dévorer ! Une manière de se laisser dominer tantôt par le désespoir-force en sa volonté de tout maîtriser, tantôt par le désespoir-faiblesse qui cherche le salut dans la fuite. Nous pouvons voir notre aveuglement s'en aller, le laisser partir avec l'aide de Dieu. Apprendre à nous aimer sans enflure ni tristesse, sans tout ramener à soi. Et retrouver foi dans la joie de donner et de recevoir gratuitement, sans chagrin ni contrainte qui est la dynamique privilégiée du Royaume.
À l'opposé, la ténèbre sera dans ce besoin d'être parfait et dans celui de tout ramener à Soi. "Le besoin d'être parfait, c'est vraiment le besoin d'avoir raison. C'est l'orgueil d'être au-dessus de toute leçon, de tout soupçon, de tout apprentissage. En revanche, la grâce (c'est-à-dire la force intérieure qui fait voir ce qui est au lieu de qu'on voudrait voir)…relie et raccorde tout, elle fait voir la belle dans la bête, la guérison dans la déchirure, la force de renaître dans une défaillance (Placide Gaboury).
" L'être humain n'est complet, créateur et intelligent que s'il a reconnu sa source, son plan d'origine, l'énergie qui le soutient, le remplit, l'appelle infiniment. Et il n'est intelligent que s'il a retrouvé la bonté en lui (Placide Gaboury)."