Voici le résumé des principales convictions à nourrir pour
réussir à coup sûr à échouer :
- Nous avons
salement besoin du malheur. Être malheureux est certes à la portée du
premier venu. Mais se rendre malheureux, faire soi-même son propre malheur
sont des techniques qu’il faut apprendre (idem pour être en conflit avec
les autres).
- Pour assurer
son malheur, il est bon de définir sa règle de vie comme étant soi-même et
de s’y tenir mordicus, surtout en faisant la sourde oreille à la voix de
sa propre raison qui pourrait nous en écarter.
- Il est
conseillé d’utiliser la glorification d’un heureux passé (enfance,
adolescence, etc.). De minimiser ce que peut nous apporter l’avenir, de
sorte de n’être bien ni dans l’un ni dans l’autre. De bien ancrer toute
chose dans le regret et la culpabilité fataliste : jamais je n’aurais dû,
mais, désormais, il est trop tard. Quitte même à rendre le passé
responsable de choses malheureusement positives. Et il convient enfin
d’appliquer la maxime : il suffit d’insister (l’autre nom pour la
névrose), de redoubler d’effort en toute chose surtout dans l’application
de son malheur, sans jamais remettre en question le système, puisqu’il ne
peut y avoir qu’une seule solution.
- Il est bon
aussi d’acquérir la certitude que nous sommes livrés sans défense à des
forces, des pouvoirs qui échappent à toute maîtrise, à toute conscience,
d’y consentir en souffrant par eux sans retenue.
- N’oublions pas
de recourir à la ruse de l’évitement : vouloir éviter ce qu’on redoute (ou
une difficulté) est le plus sûr moyen de perpétuer la situation ou la
difficulté redoutée. Cela concerne tout particulièrement notre perception
du danger et de la bienséance.
- Le recours à
la prédiction est aussi précieux : il faut et il suffit que nous soyons
convaincus ou nous laissions convaincre par d’autres d’un événement
imminent (ou d’une réalité injuste, etc.) parfaitement indépendante –
soi-disant de notre comportement – pour qu’elle se réalise.
- Il peut être
très utile de se fixer des buts utopiques (utopia= nulle part), en somme
de s’efforcer de ne jamais arriver nulle part. Chacun comprendra que plus
le but est élevé, noble, plus il demande d’efforts et de temps. Ne pas
arriver est alors acceptable.
- Pour échouer,
n’oublions pas de pratiquer la démolition des relations en semant toujours
la confusion entre les faits (objets ou ressentis) et la relation (gain ou
soupçon). La variante puritaine recommanderait ici de tout faire sans ne
jamais en tirer aucun plaisir.
- L’un des musts
consistera à se soumettre au paradoxe du « Sois spontané !», une
variante du « Sois heureux !». Comment accomplir par la volonté
ce qui devrait être spontané ? La confusion, soigneusement entretenue en
doubles contraintes paradoxales, permet une fantaisie illimitée.
- Le piège de
l’amour qui devrait être une liberté, alors qu’il réclame une fidélité (ou
une constance), va nous aider aussi grandement. Il suffit de ne jamais
accepter en toute simplicité et gratitude ce que la vie peut nous offrir à
travers l’affection de quelqu’un, en se posant plein de questions, en
restant vigilant et sceptique ; ça marche à tous les coups !
- N’oublions pas
de pratiquer à propos de tout, mais tout particulièrement de l’altruisme,
la stratégie du doute et celle du soupçon : il y a toujours des motifs
moins avouables, moins nobles derrière de bonnes intentions ou de bonnes
actions ! Dans la relation d’aide comme dans le dévouement, il y a risque
de collusion : je voudrais être sanctionné, confirmé, dans la vision que
j’ai de moi-même ou dans ce que je désire montrer. L’autre est alors
désiré tel qu’il me le faut.
- L’opacité
demeure un atout précieux : il s’agit d’affronter toutes les preuves du
contraire en continuant de tenir ses avis, sa propre conduite pour
évidente et normale ; ce sont les autres qui sont…
- Pour bien
consolider l’enfer, il faut considérer la vie comme un jeu à somme-zéro
dans lequel la seule alternative est de perdre ou de gagner. L’enfer y
gagnera encore si nous considérons toute la vie comme un jeu à somme-zéro,
en imaginant qu’on ne peut gagner tous les deux, qu’il faut vaincre
l’autre pour ne pas se perdre soi-même, et qu’il est impossible de vivre
en équilibre, en harmonie.
- En résumé,
comme le disait Dostoïevski dans Les Possédés : L’homme est
malheureux parce qu’il ne sait pas qu’il est heureux. Ce qu’il faut
traduire par la situation est désespérée, et la solution désespérément
simple !
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