L’illusion du hasard
« Le hasard n’est que la mesure de notre ignorance ! » Henri POINCARÉ. Pour illustrer cette affirmation du plus grand mathématicien français, les BOGDANOV s’appuie sur la métaphore de la roulette de casino. Devant le tapis vert, nous avons en effet « l’impression » que la boule s’arrête « au hasard » sur un numéro ; Cette illusion du hasard provient du fait que nous ne connaissons pas tous les paramètres qui définissent la seule trajectoire possible de la boule. Si, comme le démon de LAPLACE, nous connaissions toutes les lois de la mécanique sur le bout des doigts, la vitesse de la boule, celle du plateau, la forme du croupier… nous pourrions calculer la trajectoire de la boule et en déduire son point d’arrivée. C’est parce que nous ignorons ces éléments que nous avons l’illusion du hasard.
Une autre illusion du hasard
Les jumeaux ont identifié, au cœur de mathématiques, un autre exemple : la suite vertigineuse des décimales de PI. Elles s’égrènent à l’infini, sans jamais se répéter, sans motif apparent… Deux athlètes japonais des mathématiques ont calculé la 10 milliardième décimale (c’est un 5). Mais, là encore, cette file de chiffres refuse de donner son secret. Elle semble surgir du hasard. Et pourtant, PI donne le rapport entre le périmètre d’un cercle et son rayon ! Le hasard ne peut logiquement surgir d’un objet aussi bien défini ! La nature, avec PI, donne donc l’illusion du hasard. Cette illusion provient du fait que nous n’avons pas encore percé le secret de PI. Il en est de même pour la suite des nombres premiers ou celle des décimales de racine de 2. Lorsque dans la nature nous croyons voir du hasard, la nature nous trompe donc.Pi est
rigoureusement ordonné, déterminé, jusqu’à l’infini. La centième décimale de Pi est un 9. De
même, la millième décimale est encore un 9. Tout comme la milliardième. Plus
surprenant encore : à partir du 762e chiffre après la virgule, on trouve
999999, soit six 9 d’affilée. Pourquoi ? Mystère !
Quand le hasard devient improbable
Les auteurs nous en donnent quelques exemples parlants:
- Par
exemple, la gravitation est 10 puissance 40 fois plus faible que la force
électromagnétique. Un véritable gouffre ! Que pouvons-nous en tirer ? Qu’au
moment du Big Bang, l’Univers n’avait qu’une seule chance sur 10 000 milliards
de milliards de milliards de milliards de tomber juste sur la bonne valeur !
- Il
existe des dizaines de nombres purs, de paramètres cosmologiques, de constantes
fondamentales qui encadrent d’une main de fer, sans laisser la moindre prise au
hasard, la naissance de notre Univers, il y a 13 milliards 820 millions
d’années.
- Le
célèbre « boson de Higgs » détermine la masse de toutes les autres. Elle qui,
par exemple, fait que l’électron est 1 835 fois plus léger que le proton. Et
c’est encore et toujours le boson de Higgs qui fait que le photon n’a pas de
masse.
- Le
satellite Planck a sondé pendant quatre ans la première lumière émise par
l’Univers, tout juste 380 000 ans après le Big Bang. Or là encore, l’image
qu’il est parvenu à extraire de l’énigmatique « rayonnement cosmologique » –
débouche sur tout autre chose que le hasard. D’abord parce que la température
de cette première lumière ne varie que d’un cent millième de degré d’un point à
un autre, si bien qu’elle semble fantastiquement bien « réglée ». Mais surtout,
les analyses fines qui ont été menées montrent que ce qu’on appelle la «
complexité » de ce rayonnement est, en réalité, extrêmement basse. En d’autres
termes (de l’avis même des experts de la mission Planck) le hasard joue un
faible rôle au sein de ce rayonnement primordial.
Le vrai hasard, le hasard pur existe-t-il ? Et si
oui, où se cache-t-il ? Selon les experts des sciences de l’infiniment petit,
la réponse se trouve dans le monde étrange, insaisissable, des atomes. Là, au
cœur de ce qu’on appelle « le monde quantique », règne un principe
tout-puissant – le principe d’incertitude. Sous son emprise, tout devient
irréductiblement flou. Impossible de connaître à la fois la vitesse d’un photon
(un grain de lumière) et sa position dans l’espace. Impossible de dire à quel
moment telle particule va se désintégrer. La source du hasard pourrait donc
bien se trouver là. Au cœur de l’infiniment petit.
Mais est-ce vraiment certain ? Dans l'infiniment petit aussi, des faits viennent contester le hasard:
- Selon
Gamow (qui a publié en 1954 une surprenante découverte sur le code génétique),
il était impensable que la vie ait pu apparaître par hasard sur la Terre. Pour
en convaincre son entourage, il répétait ce chiffre à qui voulait l’entendre :
la probabilité selon laquelle la molécule d’ADN se serait assemblée « par
hasard » est de 1 sur 10 puissance 40 000. C’est-à-dire 1 suivi de 40 000 zéros
! Ce chiffre est tellement immense qu’il n’a évidemment plus aucun sens
physique (surtout si l’on se souvient, avec Eddington, que le nombre total de
particules élémentaires dans tout l’Univers n’est « que » de 10 puissance 80).
- C’est
d’ailleurs dans le même sens que le biologiste américain Richard Dawkins (bien
connu, cependant, pour ses positions évolutionnistes) reconnaît que la
probabilité pour qu’une simple molécule d’hémoglobine s’assemble d’elle-même,
par hasard, est de 1 contre 10 puissance 190 !
- Depuis qu’il neige sur notre
monde (c’est-à-dire des milliards d’années) il n’y a jamais eu deux flocons
identiques. Et pourtant, tous ces cristaux de neige, sans aucune exception,
forment une figure à six sommets. Jamais cinq ou sept. En somme, une sorte
d’étrange « programme » impose mystérieusement la même structure géométrique à
chacun de ces milliards de flocons qui tombent sur un paysage, tout en laissant
apparaître, d’un cristal à l’autre, les variations infinies qui les rendent
tous différents et uniques. De la même manière, en été, ce sont les fleurs qui
nous intriguent : le nombre de leurs pétales est rigoureusement déterminé, sans
la moindre erreur possible, par une constante mathématique qu’on appelle le
nombre d’or. Une marguerite peut avoir 5, ou 8 ou encore 13 pétales. Mais
jamais 10 ou 11.
Comment est-ce donc possible ?
L’idée que tout est déterminé n’est pas partagée par tout le monde. Pour appuyer leur thèse, les BOGDANOV convoquent EINSTEIN (« Dieu ne joue pas aux dés »). Mais on ne peut inviter l’inventeur de la théorie de la relativité, sans traîner, dans son sillage, son pire ennemi (et donc celui des deux frères) : Niels BOHR (« Cher Albert, ne dites pas à Dieu ce qu’il a à faire ! « ) et sa cohorte de physiciens de la mécanique quantique : car, au royaume de l’infiniment petit, il semble bien que le hasard soit roi : on ne peut déterminer la position d’un électron autour de son noyau. Seule sa probabilité de présence (Schrödinger) est calculable. Pire ! Si on tente d’améliorer notre connaissance de sa position, on dégrade notre connaissance de sa vitesse (principe d’incertitude d’Heisenberg) ! On ne sait pas non-plus dire à quel moment un noyau radioactif va se désintégrer… Alors ? Le hasard existe-t-il au royaume quantique ?
Le mot de la fin pour Gödel
Ce génial mathématicien a montré qu’à l’intérieur d’un système logique, il existe des propositions vraies que l’on ne peut pas démontrer. Ce principe est énoncé dans son célèbre théorème d’incomplétude. C’est ainsi la fin du rêve du mathématicien David HILBERT qui, au début du vingtième siècle, voulait achever les mathématiques.
EINSTEIN va utiliser ce théorème pour démonter les arguments de BOHR : le système de la mécanique quantique tombe dans le champ du théorème de Gödel ! Certaines propositions sont vraies, mais il nous est impossible de les démontrer ! Il existe des variables cachées, des lois, auxquelles obéissent les particules quantiques, mais que nous ne voyons pas et que nous ne verrons jamais. Notre aveuglement conduit à l’illusion du hasard.
A la question de David Hilbert, existe-t-il des
propositions vraies que l’on ne peut pas démontrer ? La réponse de Turing
éclate comme un coup de tonnerre : oui, de telles propositions existent. Dans
la foulée, il fait un clin d’œil à cet immense expert de la théorie des nombres
qu’est Hilbert en démontrant qu’il existe des nombres réels qui ne sont pas
calculables. Ce résultat n’est pas anodin. D’abord, il s’emboîte à merveille
dans le stupéfiant théorème d’incomplétude, publié en 1931 par le logicien de
Vienne, Kurt Gödel. Mais surtout il nous montre, pour la première fois, qu’il
peut exister des choses réelles, parfaitement définies, mais que nous ne
pouvons pas – ne pourrons jamais – connaître. Est-ce que ça veut dire que ces choses
sont livrées au hasard ? Bien sûr que non ! Simplement, elles sont
inconnaissables et nous échappent à jamais. Ainsi, lorsqu’on
examine de près la suite des décimales de Pi, on s’aperçoit que même si elles
n’apparaissent pas au hasard, elles semblent se succéder de manière
désordonnée. Un 5 ici. Un 3 là. Un 8 plus loin. Autrement dit, Pi n’obéit pas
au hasard et pourtant, il l’imite à la perfection. Il le simule ! Pour certains
mathématiciens, Pi est donc une clef qui pourrait nous permettre de comprendre
l’Univers entier.
Existe-t-il une contrainte profonde à laquelle obéissent les phénomènes apparemment chaotiques ? Y aurait-il de mystérieux attracteurs ? Tout se passe comme si « quelque chose », situé hors de l’espace-temps ordinaire, déterminait le comportement de phénomènes qui, à notre échelle, nous semblent aléatoires. Très mystérieusement, depuis l’Univers invisible d’où ils agissent sur le monde, ces « attracteurs étranges » structurent et informent donc à notre insu et sans que nous puissions réellement les comprendre, les événements qui nous semblent chaotiques et indéterminés : une fois de plus, le hasard se trouve mystérieusement encadré, structuré, organisé, programmé. En fait, la Nature est bel et bien « écrite dans une langue mathématique », si ce langage mathématique représente bien l’essence même du réel, alors le hasard ne peut y jouer que le rôle d’un figurant : tout comme le nombre Pi « fait semblant » d’égrener ses décimales au hasard, la nature elle-même simule et imite si radicalement les phénomènes aléatoires qu’elle crée une illusion presque parfaite du hasard.
Peut-on produire du hasard?
János
von Neumann, à qui l’on doit l’invention de la RAM, est obsédé par la question
de savoir si l’on peut inventer une machine à produire du hasard. Puisqu’il s’avère
donc impossible de produire mécaniquement du hasard, puisqu’il n’existe aucune
machine capable de créer des événements vraiment aléatoires, ne pourrait-on
alors se tourner vers ces systèmes abstraits que sont les mathématiques ? Ne
serait-il pas envisageable d’engendrer mathématiquement le hasard ?
Ce soir-là, avalant café après café, von Neumann
va donc tenter d’inventer une méthode. Mais rien n’y fait ! la nature ne
serait qu’une approximation d’un ordre mathématique profond. Mais, le fait que
des événements aléatoires puissent être décrits mathématiquement signifie
qu’ils sont de nature déterministe et donc, dès lors, théoriquement
prévisibles...
En
bons mathématiciens, William Jaggers et Edward Thorp ont donc compris qu’il
était possible de systématiser les probabilités rencontrées dans les jeux de
hasard et de les transformer en « coups gagnants ». Sans le savoir, Jaggers,
Thorp et d’autres mathématiciens ont construit la théorie des jeux. Du point de
vue mathématique, les jeux de hasard doivent être considérés comme une série
d’expériences susceptibles de générer différents types d’événements aléatoires
dont la probabilité peut être calculée en utilisant les propriétés de certaines
lois appliquées à un nombre fini d’épisodes.
En fait, les mathématiques sont donc capables de
mettre le hasard en échec. Pourquoi ? Parce que, en fin de compte, elles sont
de la même nature que lui : le hasard est mathématiquement programmé.
Reste pourtant un dernier problème. Qu’il s’agisse
de von Neumann ou de Thorp, tous les scientifiques de cette époque connaissaient
évidemment cette science de l’infiniment petit qu’on appelait un peu partout «
mécanique quantique ». Ils étaient au courant des travaux de Max Planck, de
Niels Bohr, ou de Werner Heisenberg sur le monde fascinant des particules
élémentaires. Et surtout, ils savaient bien que pendant le cinquième Congrès
Solvay, Einstein n’avait pas vraiment réussi à convaincre ses collègues que le
hasard n’existe pas au pays des atomes. Serait-ce donc dans l’univers
quantique, celui des atomes et des particules élémentaires, qu’il nous faudrait
rechercher le « vrai » hasard ? Le hasard pur ?
Comme
aimait à le dire Einstein : « Dieu est subtil. Mais il n’est pas
malicieux. » Une autre façon de répéter que le Créateur ne joue pas aux dés.
Mais avec le principe d’incertitude formulé par Heisenberg, il est radicalement
impossible de connaître en même temps la position d’une particule et sa
vitesse. Pour enfoncer le clou, les congressistes font désormais bloc autour
des idées folles selon lesquelles, entre autres, il est impossible de prévoir à
quel moment une particule va se désintégrer, ou encore pourquoi un grain de
lumière – un photon – passe par un chemin plutôt que par un autre. Dans ses
profondeurs, au niveau de ce qu’on appelle l’échelle quantique, il n’y a plus
que le hasard pour expliquer ce qui se passe. La nature ? Inutile de chercher
plus loin : elle est totalement, irréductiblement, indéterminée ! Le sujet va
encore se complexifier avec Kurt Gödel et son fameux théorème : tout
système logique est inéluctablement incomplet ! Sous ses airs inoffensifs, cet
énoncé a des effets ravageurs. Entre autres, il met brutalement fin à des
siècles de tentatives pour faire des mathématiques un système complet, capable
de résoudre tous les problèmes qui peuvent se poser un jour ou l’autre. Pire
que tout, les mathématiciens du monde entier réalisent (parfois avec horreur)
qu’il existe des choses vraies qu’il sera à tout jamais impossible de démontrer
! Cet apport inattendu vient combler Einstein. Avec deux de ses collègues,
Boris Podolsky et Nathan Rosen, Einstein publie donc un paradoxe qui va
rapidement devenir célèbre sous le titre de « paradoxe EPR ». Sans entrer dans
les détails, signalons simplement que pour Einstein, existe l’état d’une
particule avant toute mesure alors que ce n’est pas possible pour Bohr et pour
tous ceux qui croient dur comme fer que la nature est indéterminée. A partir de
là, l’argument d’Einstein est simple : notre connaissance de la nature est
incomplète et on doit tenir compte de ce qu’il appelle sans cesse des «
variables cachées ». Autrement dit, à ses yeux, une particule a beau donner
l’impression qu’elle se comporte « au hasard », en réalité, elle obéit à des
lois que nous ne connaissons pas. En somme, des « variables cachées ». Le débat
est relancé. Mais il manque 2 éléments : Von Neumann précisera le hasard
doit être vu comme une sorte d’incomplétude essentielle. John Wheeler avait s’est
demandé s’il pouvait exister un lien entre incertitude et incomplétude. Mais
ici surgit une nouvelle question, tout aussi passionnante que celle qui précède
: quelle est la source profonde de cette incomplétude ? Leonid Levin répondra
ainsi : le hasard est un simple reflet dans le monde physique de quelque
chose qui est inscrit dans ce monde indépendant – transcendant – qu’est le
monde mathématique. Il vient d’un Ailleurs, de l’espace-temps ; Or par
définition, cet Ailleurs ne contient ni matière ni énergie. Et justement : nos
propres travaux semblent indiquer que la seule chose qui subsiste « là-bas », c’est,
bien sûr, l’Information. Quelque chose d’immatériel, qui n’existe pas dans le
temps réel. Les « inégalités de Bell » nous disent en gros, qu’il existe une
frontière au-delà de laquelle les notions pourtant si banales d’« ici » et de «
là-bas » s’effondrent. Autrement dit, deux particules matérielles que l’on
pourrait croire séparées l’une de l’autre sont, en réalité, mystérieusement «
reliées ». Par quoi ? Justement, par cette chose somme toute étrange que, faute
de mieux, on appelle « Information ».
Tout est là : alors que, visiblement, les
particules sont bel et bien éloignées les unes des autres, en réalité,
l’Information qui les caractérise (et détermine ce qu’elles sont) les relie
instantanément, par-delà l’espace et le temps. Et les expériences d’Alain
Aspect viendront le démontrer.