Comme l'explique André Chouraqui ( In La vie quotidienne des hommes de la Bible, Hachette 1978 ) La vie n'est pas
absurde mais elle est l'enjeu du conflit qui oppose le bien et le mal, la paix
à la guerre, l'esprit à la nature. Comme le Dieu qui lui a donné naissance,
l'univers est un. C'est Dieu par la puissance de son verbe, qui l'arrache au
chaos de la diversité et lui donne sa vocation d'unité comme il tire Adam du
sommeil de la matière en lui insufflant un souffle vivant, nephesh…l'homme est
avant tout une nephesh, et d'elle dépend le destin de l'homme et du monde. Mais le doute demeure:
 Cette pathologie d'angoisse est profondément liée à notre peur fondamentale d'être jetés dans un univers machine, froid, indifférent, juste capable de combiner les possibles en fonction des lois connues, d'autres lois encore à découvrir, du hasard ou de coïncidences plus ou moins heureuses. Dans cet ordre là des choses et du monde, rien ne nous vient en aide ni en soutien !
La voie des ténèbres et la voie de la lumière se
partagent l'universalité du réel. Sur leur frontière s'affrontent sans répit
les justes et les réprouvés, les bons et les méchants; ils ne cessent de se
livrer une guerre, à la vie, à la mort, du commencement à la fin, dans
l'attente du triomphe final de la lumière sur les ténèbres, de la vie sur la
mort . Jésus va opérer, proposer, illustrer une mutation, un passage du besoin au désir, du sacré à ce qui est saint: à savoir l'amour fraternel. Il va donc déconstruire sa religion pour la faire évoluer. Avec lui, le Dieu créateur devient vraiment universel et plus uniquement lié à un peuple, une terre, un temple, une loi, à des rituels de pureté, au sabbat, aux rôles masculins-féminins, etc.
Les méfaits de l'angoisse anéantis ou du moins recadrés: L'évangile de Marc nous dit ce projet fou ainsi: La belle–mère de Simon était alitée, elle avait de la fièvre ; aussitôt on lui parle d’elle. 31 Il s’approcha et la fit lever en lui saisissant la main ; la fièvre la quitta, et elle se mit à les servir. 32 Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous les malades et les démoniaques. 33 Toute la ville était rassemblée devant la porte. 34 Il guérit beaucoup de malades qui souffraient de divers maux et chassa beaucoup de démons ; il ne laissait pas les démons parler, parce qu’ils le connaissaient. 35 Au matin, alors qu’il faisait encore très sombre, il se leva et sortit pour aller dans un lieu désert où il se mit à prier. 36 Simon et ceux qui étaient avec lui s’empressèrent de le rechercher.37 Quand ils l’eurent trouvé, ils lui disent : Tous te cherchent. 38 Il leur répond : Allons ailleurs, dans les bourgades voisines, afin que là aussi je proclame le message ; car c’est pour cela que je suis sorti. 39 Et il se rendit dans toute la Galilée, proclamant le message dans leurs synagogues et chassant les démons. La guérison
fondamentale est campée dans celle de la belle-mère de Pierre atteinte d'un
étrange fièvre que Jésus va guérir. Marc nous raconte qu'elle revient à la vie,
qu'elle se mit à servir Jésus et ses disciples. Fini les tourments: voilà le
vrai miracle, celui d'être rendus à nous-mêmes, libérés des soucis, de cette peur-tristesse-colère-angoisse-- dépit- ressentiment-haine ou dégoût qui nous oppresse De
ces démons, voix d'oppositions à la vie qui éteignent les cœurs, nous livrent à la
tyrannie du néant ou tue la liberté, en nous situant dans la peur de l'autre sans connaître le bonheur d'être soi. Une variante du récit de la guérison de la belle-mère de Pierre nous est contée en Mc 5, Or il y avait là une femme atteinte d’une perte de sang depuis douze ans. 26 Elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins, et elle avait dépensé tout ce qu’elle possédait sans en tirer aucun avantage ; au contraire, son état avait plutôt empiré. 27 Ayant entendu parler de Jésus, elle vint dans la foule, par–derrière, et toucha son vêtement. 28 Car elle disait : Si je touche ne serait–ce que ses vêtements, je serai sauvée ! 29 Aussitôt sa perte de sang s’arrêta, et elle sut, dans son corps, qu’elle était guérie de son mal. 30 Jésus sut aussitôt, en lui–même, qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule et se mit à dire : Qui a touché mes vêtements ? 31 Ses disciples lui disaient : Tu vois la foule qui te presse de toutes parts, et tu dis : « Qui m’a touché ? » 32 Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. 33 Sachant ce qui lui était arrivé, la femme, tremblant de peur, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. 34 Mais il lui dit : Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal. D'un point de vue psychologique, cette pathologie d'angoisse devait toucher toutes les réalités de l'amour, de la sexualité, l'être intime de cette femme. C'était un préjudice très handicapant, une honte, une impureté, comme si cette personne ne pouvait être qu'écoulement vain sans jamais rien obtenir en retour. Une désespérance totale ! Le seul moyen capable de guérir un humain, c'est la foi partagée en l'amour capable de générer une vraie relation qui puisse nous dégager de nos problèmes de dignité et d'indignité, de rendement de mérite, de pur et d'impur, par un geste, une parole qui ne prétend rien de plus. En Jésus nait ce contre-courant, cette guérison qui vient remplir le vide de l'angoisse par un amour différent.
Foi, courage, confiance: Marie, mère de Jésus: L’Ecriture la présente simplement comme une figure magnifique de femme dévouée et pieuse. Elle occupe une place unique comme mère du Messie, et "toutes les générations la diront bienheureuse" (CF.Lu 1.48). Mais il est clair qu’elle n’est pas "l’Immaculée Conception", puisqu’elle appelle elle-même Dieu "son Sauveur", et que son esprit était sujet à l’ignorance et à l’incompréhension (CF.Lu 1.47; 2.50; Mr 3.21). Elle n’est pas demeurée perpétuellement vierge, étant réellement devenue la femme de Joseph (CF.Mt 1.25). Les évangiles appellent ainsi Jacques, Joseph (nommé aussi Joses), Simon, et Jude, en mentionnant expressément qu'ils avaient aussi des soeurs (CF.Mt 13.55-56; Mr 6.3). Elle n’est pas davantage "pleine de grâce" , car le texte grec dit à son sujet: graciée ou reçue en grâce et l’ange ajoute qu’elle a "trouvé grâce devant Dieu" (v. 30). Il est donc inexact de prétendre, comme le fait l’Eglise Romaine, que "Marie est la médiatrice de toutes les grâces" et qu’à la Pentecôte c’est elle qui a reçu le St-Esprit et l’a distribué aux disciples. Marie n’est pas la "Mère de Dieu" dans le sens catholique, car elle a donné au Christ sa nature humaine, et non sa nature divine. Jésus a toujours veillé à ce que Marie elle-même, ou les hommes, ne donnent pas à sa mère une place au-dessus des autres, ni une part à son ministère. Enfin, le "dogme de l’assomption de la Vierge" promulgué en 1950, n’a aucune base scripturaire. Selon cette doctrine, étant morte en 54, elle aurait été aussitôt ressuscitée et enlevée au ciel avec son corps glorifié. Pour Jésus, ce ne sont pas les liens du sang qui doivent compter d'abord.Il dira ce recadrage en Marc 3, 32-35:
La foule était assise autour de lui et on lui dit : Ta mère, tes frères et tes sœurs sont dehors, et ils te cherchent. Il répond : Ma mère et mes frères, qui est–ce ? Puis, promenant ses regards sur ceux qui étaient assis tout autour de lui, il dit : Voici ma mère et mes frères. En effet, quiconque fait la volonté de Dieu, celui–là est mon frère, ma sœur et ma mère.
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| La fille de Jaïre raconte la transition de l'enfance à l'âge adulte pour une fille de rabbin qui doit sortir de l'ombre portée par son entourage, son éducation, l'influence des règles de vie et celle des idées parentales. Elle ne saurait devenir la gloire de son père. D'où la nécessité de mourir, pour la petite fille, pour advenir à sa vie de femme. Il faut qu'elle meure à son carcan pour vivre ! On vient dire au père "Ta fille est morte". C'est une annonce brutale qui dit aussi tout est fini. Il n'y a plus rien à faire. Nos outils pour lutter contre la mort sont inutiles quand la mort a frappé. Or, justement, l'amour dépasse la mort et annule son pouvoir parce qu'il affirme qu'il n'y a pas que cette vie terrestre. L'amour vit de la liberté, de cette grandeur infinie, non calculable, d'une vie éternelle, ce qui nous permet justement d'aimer autrement. De laisser les autres grandir dans la lumière divine. Jésus répond: "Elle n'est pas morte, elle dort." On peut imaginer les railleries et les moqueries. Jésus jette dehors cette assemblée mortuaire et dit: "Jeune fille, je te le dis, lève-toi"! Quitte cette paralysie, en somme deviens femme, deviens toi-même. Les véritables merveilles de Dieu se passent dans notre cœur, dans l'acceptation de quitter ce qui nous retient en captivité. Et ce courage nous vient du dehors, d'en-haut et des autres; cela nous permet de nous prendre d'affection pour cette petite vie à féconder d'en-haut.
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| La Syro-Phénicienne n'a pas de nom mais elle incarne le malheur d'impuissance en cette souffrance pour un autre, un être aimé, celle d'une mère pour son enfant perdu, possédé par un démon déchu qui fait basculer du côté du néant; voir son enfant malheureux, malade, incapable de bien faire, en train de se blesser comme par exprès, souvent pris d'une méchanceté purement négative et d'une envie de provoquer sa propre destruction. On y voit toute l'angoisse, le déchirement déguisés en affirmation libertaire cyniquement affichée. L'évangile appelle le démoniaque cette attitude de rejet de toute proximité humaine rendue impossible délibérément. Impossible de s'aimer les uns les autres puisqu'il n'y a rien au-dessus de nous, aucun Amour à qui s'adresser ! La prière de la mère est à la façon d'un chien errant: "Seigneur, aide-moi." Elle, l'étrangère, postule un Amour divin qui pourrait lui venir en aide. Sans doute a-t-elle déjà tout essayé, alors pourquoi pas ce dieu là ? Le malheur la rend culottée et insistante. Jésus d'abord lui refuse son aide: il est venu pour les brebis perdues de la maison d'Israël et non pour les étrangers, les chiens, les goyim. Mais la mère n'a que faire de ce propos conforme aux liens entre Juifs et Cananéens. La misère et le malheur n'ont pas de frontières. Alors, elle insiste et trouve les mots justes: les chiens ne mangent-ils pas les miettes tombés de la table? Alors Jésus, contre toute attente, dit à cette inconnue: "Oui, femme, qu'il en soit fait selon TA volonté." Celle justement qui a su convaincre et déclencher une aide en retour. Il est comme cela le Père ! Bien sûr, symboliquement, le texte suggère aussi d'autres motifs: la mère est sans père, elle doit tout porter. Peut-être a-t-elle, dans son désir de bien faire, aliéné sa fille. Peut-être porte-t-elle des angoisses et des culpabilités qui l'emprisonnent ; peut-être que c'est elle qui a besoin de guérir: nous le sommes quand nous cessons de juger, de blâmer les autres, de les vomir ou de les dévorer, de les tyranniser ou de les apeurer. Alors seulement nous pouvons nous apporter mutuellement respect, estime, confiance, attention, soins, etc. Cela réclame d'avoir fait le ménage en soi-même pour finalement choisir de vivre avec Lui dans le cercle de l'amour comme dans une prière sans fin. L'offrande de la veuve
pauvre: cette histoire nous est raconté ainsi en Marc 12,
Une veuve pauvre
arriva et mit deux petites pièces de cuivre, d’une valeur de quelques centimes. 43 Alors Jésus appela ses disciples et leur
dit : Je vous le déclare, c’est la vérité : cette veuve pauvre a mis
dans le tronc plus que tous les autres. 44 Car tous les autres ont donné de l’argent
dont ils n’avaient pas besoin ; mais elle, dans sa pauvreté, a offert tout
ce qu’elle possédait, tout ce dont elle avait besoin pour vivre. Pour Jésus, un
retournement s'impose: les pauvres, les purs de cœur, les artisans de paix sont
heureux parce qu'ils n'hésitent pas à être miséricordieux, compatissants,
généreux même dans la souffrance ou la misère. Ils savent en leur chair ce qui
manque et font ce qu'ils peuvent pour y remédier.
Pour Maurice Bellet le
divin se manifeste : " sa joie est que vive la vie ; sa divine
joie est en les naissances, en les guérisons, en les libérations, en toutes
créations, en surgissement par-delà les montagnes et les océans de mort. Mais
en même temps, il est justement jouissance. Aussi éloigné d’un altruisme
qu’étouffe le devoir que d’un égoïsme qui est finalement suicidaire. Il
n’y a pas à se justifier. Il n’y a pas à se condamner. À chaque jour est donné
le pain de chaque jour." Il s'agira de consentir à notre double
nature : à cette humanité fragile, faillible et mortelle d'où surgit souvent un
cloaque d'iniquités. Et se risquer pourtant à cette Présence ineffable, à
l'expérience d'une puissance de Vie, qui couvre tout, espère et endure tout,
capable de faire reculer nos fascinations pour la mort et le mortifère du
non-amour, dans le grand désir que tout soit sauf en tous, par cet Accueil où
chacun va comme il peut, d'où il est, comme il est, sans crainte ni désespoir,
un humain parmi les autres. Naître là, dans cette Présence ineffable est lutte
pour maintenir le désir que tout soit sans rudesse ni violence vécue dans la
patience d'avancer à son pas comme dans le refus de (se)faire violence. Tout
est appelé ici à être relations justes, renaissances, puissance critique et
processus créatifs en lien avec le Tout Dieu, le vide quantique, la divine
matrice, etc.), renaissance et résurrection de cette joie que vive la vie;
éloignement donc du mortifère et du dieu pervers.
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" Le lieu de Dieu, c’est l’homme. C’est en l’homme que Dieu peut être
beaucoup plus que tout ce que l’homme peut contempler et construire dans
l’univers. Mais l’homme est aussi bien le lieu du pire et le temple des démons.
Il faut donc attendre Dieu en l’homme, jusqu’à ce qu’advienne l’homme pur de la
mort, et assez pur de la mort pour que, jusque dans la destruction – dans le
pâtir qui non seulement assassine mais avilit –, il ne soit complice ni comme
bourreau, ni comme victime. Pur du meurtre (tant de meurtres sont commis au nom
de Dieu ou de ce qui le remplace !). Ne devant rien à la mort.
« Finalement, finalement, vous ne devez, nous ne
devons craindre qu'un ennemi, un seul ennemi : la sombre tristesse qui envahit
tout et défait le lien merveilleux qui nous donnait d'être un en nous-mêmes et
un avec nos proches, jusqu'à l'infini. Un seul ennemi : cette tristesse de
ténèbre, cette amertume qui hait la naissance et la vie ; car c'est de ce
gouffre que sortent les cruautés, les abandons, les replis, les angoisses. De
là sort l'extrême, l'inhumain— l'inimaginable froideur des organisateurs de
massacres. » L’humaine tendresse n’a pas pu se dire ; elle ne s’est pas
incarnée pour libérer du jugement et devenir cette douce présence qui nous fait
sortir de l’enfermement. « En vérité, toujours demeure en l'homme (en vous comme en moi)
puisqu'il vit, au moins une légère trace, un reflet de ce don qui précède tout
et qui fait que malgré tout nous pouvons nous réjouir d'être nés.
Heureuse rencontre, d'une parole qui nous éveille là!
Cela est vrai de toute vie, même si nous ne savons pas comment, même si celui
qui la vit est jour après jour dans la ténèbre (Maurice Bellet).
» Vivre c'est pécher, s'installer dans le péché, c'est mourir - dira Françoise Dolto; à l'inverse, aimer
c'est engendrer, susciter, éveiller, réveiller. C'est le contraire de vivre en
circuit fermé, de posséder pour soi: richesse, savoir, pouvoir . " Quand
l'amour est blessé, il risque en sa déchirure, toutes sortes de démesures
inhumaines : le silence, la rage, le froid, la
jalousie, la culpabilité ou la honte, mais il
devient surtout haine conjuguée en logiques infernales car la haine est l'amour
lui-même devenu impossible qui se mue en destruction, en se déchirant du dedans
en une tristesse sans fond ou en ressentiment effrayant. D'elle peut
dériver une énergie extrême vers la frénésie de jouir, l'avidité, l'ambition,
le sexe, le pouvoir, l’argent. Elle peut aussi mener à l'abattement complet, à
l'échec à répétition, à la déception programmée ; la douleur de l'absence,
celle de l'impuissance conduisent à vouloir détruire, ou encore à la
résignation, à la dureté, à l'indifférence, au cynisme tranquille même si la
brûlure demeure ! La logique infernale fait fructifier le malheur en autant de
revendications et ressentiments. On n’en finit pas de
cette tristesse-dépit-colère-injustice, nous dit Maurice Bellet."
Le ressentiment est l'envers caché d'une volonté de puissance ou de reconnaissance. Parfois, il est aussi identité de victime qui désespère de pouvoir être autre chose. Nous sommes tous sous l'emprise de la faute, de la
culpabilité et du perfectionnisme. Cela semble venir de notre besoin de
sécurité et d'harmonie qui dépend pour une grande part de notre adaptation au
milieu et des liens noués avec les autres. Notre passe-temps favori, de ce à
quoi nous tenons tant, vient du désir féroce de s'auto-justifier, d'assurer ce
qui ne peut l'être. Nous voici en prise avec la morsure du Néant, à
situer entre cette quête d'idéal et le besoin de se rendre
acceptable.
Une tension d'où surgissent la dramatisation ou la
banalisation: la faute, l'auto-flagellation, la culpabilité mortifère, le
besoin d'en faire des tonnes pour attirer l'attention, le perfectionnisme de la
sériosité ou de la rivalité; dans ce piège, il n'y a pas de liberté: il y a des
mythes (sociaux, familiaux, religieux), des attentes et décrets intériorisés,
des vouloir et des devoirs être; des peurs, des craintes, des tristesses, des
frustrations, des ressentiments, des colères, des hontes, des gènes, des
dégoûts, des blessures de n'avoir pu combler les attentes narcissiques de nos
parents, celles des personnes qui comptent pour nous, pour qui nous aurions
tant aimé compter. Le désir mimétique nous pousse à désirer ce que l'autre a/
est, ou à entrer en rivalité; en somme à dévorer ou vomir dans une quête de
maître ou d'esclave. S'aimer sans fureur ni férocité devient ici impossible:
tout est à vif!

| L'onction de Béthanie: Les Israélites faisaient grand usage de
parfums et d’huiles parfumées, pour les soins de la chevelure et du corps.
Mais l'onction était pratiquée pour signaler une mise à l'écart; les
sacrificateurs du Temple, les rois et les prophètes étaient oints.
L'onction de Béthanie nous est racontée en Marc 14, 3-9:
Comme il était à
Béthanie, chez Simon le lépreux, une femme entra pendant qu’il était à table.
Elle tenait un flacon d’albâtre plein d’un parfum de nard pur, de grand
prix ; elle brisa le flacon et répandit le parfum sur la tête de Jésus.
Quelques–uns s’indignaient : A quoi bon gaspiller ce parfum ? On
aurait pu vendre ce parfum plus de trois cents deniers, et les donner aux
pauvres. Et ils s’emportaient contre elle. Mais Jésus dit : Laissez–la.
Pourquoi la tracassez–vous ? Elle a accompli une belle œuvre à mon
égard ; les pauvres, en effet, vous les avez toujours avec vous, et vous
pouvez leur faire du bien quand vous voulez ; mais moi, vous ne m’avez pas
toujours. Elle a fait ce qu’elle a pu ; elle a d’avance embaumé mon corps
pour l’ensevelissement. Amen, je vous le dis, partout où la bonne nouvelle sera
proclamée, dans le monde entier, on racontera aussi, en mémoire de cette femme,
ce qu’elle a fait.
Au sens figuré, la lèpre est comme le péché, un mal insidieux qui commence par
une toute petite tache, par une toute petite chose pour devenir une affection
grave et contagieuse. Au temps de Jésus, le sang et l'huile étaient nécessaire
pour purifier le lépreux comme le pécheur. Il fallait donc une onction. Nous
sommes chez Simon - dont le nom veut dire celui qui entend -, sans doute un
ancien lépreux. Arrive une femme inconnue qui va oindre Jésus: son comportement
est inconvenant. Totalement déplacé. La surprise provoque la condamnation: à
quoi bon gaspiller un tel parfum, on aurait pu le vendre, en obtenir 300
deniers, l'équivalent d'un bon salaire annuel, pour le donner aux pauvres! En
fait, le geste de cette femme est obscur. Sans doute voulait-elle dire à quel
point Jésus était important pour elle, au point de lui donner toute sa fortune,
tout ce qu'elle avait. Sans doute voulait-elle par son onction en faire un
prophète. Marc nous raconte la réaction de l'élu: Jésus d'abord réprimande les
convives en leur faisant remarquer ce qui est en jeu dans l'instant présent:
des pauvres vous en aurez toujours avec vous et vous pourrez leur faire du
bien, mais moi vous ne m'aurez pas toujours. Ensuite, il botte en touche
l'onction prophétique pour infléchir le geste dans le sens d'un embaumement
anticipé; c'est la femme qui devient prophète, qui annonce ce qui n'est pas
encore. Le sang et l'huile seront nécessaire pour la purification des pécheurs
! Voilà ce qui est à entendre, à réaliser.
La sortie du péché implique d'être inconvenant, d'agir en ce monde en vivant
intensément ce dont nous rêvons pour tous, en sachant que la violence règne
partout. La contradiction persiste entre la solidarité et l'impuissance,
l'amour et la cruauté, la tendresse et la dureté, la sincérité et l'hypocrisie,
la bonté et la méchanceté, etc. La foi est sortie du péché, courage
d'empoigner, modestement et avec prudence, le champ qu'on pense pouvoir
dépierrer. Courage de concrétiser du bien pour tous. 
Marthe voulut lui témoigner son affection en le recevant dignement. Marie, plus contemplative que sa soeur, n’aspirait qu’à écouter le Maître. Marthe demanda à Jésus de la réprimander. Il lui fit comprendre que la faim spirituelle de ses disciples était plus importante que leurs soins respectueux. En voici le récit:
Luc 10:38-42. Pendant qu’ils étaient en route, il entra dans un village, et une femme nommée Marthe le reçut. Sa sœur, appelée Marie, s’était assise aux pieds du Seigneur et écoutait sa parole. Marthe, qui s’affairait à beaucoup de tâches, survint et dit : Seigneur, tu ne te soucies pas de ce que ma sœur me laisse faire le travail toute seule ? Dis–lui donc de m’aider. Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part : elle ne lui sera pas retirée.
Ce récit contient de multiples provocations: - les 2 soeurs connaissent bien Jésus ami de la famille et de leur frère Lazare. Elles sont habituées à ce prophète qui s'en vient avec sa bande de disciples. Donc rien ici de surprenant. - La surprise vient du comportement de Marie qui oublie tous ses devoirs de service et d'hospitalité: elle va s'asseoir pour écouter Jésus, comme un homme en somme... - Marthe se retrouve à devoir faire tout le travail; elle s'en offusque et finit par s'en ouvrir au maitre avec un reproche: comment peux-tu tolérer ce manquement à nos traditions ? Te soucier aussi peu de moi ? En somme laisser se commettre une injustice, toi qui te dis prophète? - Jésus lui répond de manière cinglante: si toi aussi tu voyais en moi la nouveauté de Dieu, tu ferais comme ta soeur. C'est de cela dont il faut s'inquiéter et s'agiter ! | La femme de Pilate et la croix: Ah! Le cynisme politique. La croix
en est la parfaite illustration. Entre le clergé et les puissants de
Jérusalem qui veulent se débarrasser de ce prophète, ce minable galiléen
et le pouvoir romain peu enclin à leur rendre ce service, le meurtre
s'organise par la foule qui réclame la mise à mort. La mort d'un seul,
même innocent, vaut bien le calme retrouvé: c'est la pratique du
bouc-émissaire. Pendant qu’il était assis au tribunal, la femme de Pilate
lui fit dire : Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste, car
aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en rêve à cause de lui (Mt 27.19). Mais
les émeutes en ville sainte personne n'en veut. Alors, tant pis pour celui
par qui le scandale arrive. La croix dénonce ce mécanisme sacrificiel:
elle campe le plus jamais ça dans un nouveau décors. Que plus jamais une
victime innocente ne soit sacrifiée ! La croix annonce cette révolution,
ce commencement. Il y a, en Jésus, un amour indestructible, un courage d'une vérité éternelle, un
Dieu qui veut que nous vivions et qui nous appelle à l'immortalité dans
son pardon lumineux. Dieu se fait victime, se laisse humilier, torturer,
juger et condamner, sans nous punir, pour que nous puissions guérir de nos
contentieux avec lui. Il incarne cette Bonté qui sera toujours plus
puissante que le mal le plus profond. Cette Bonté est un déséquilibre
favorable qui raconte la fin d'un fantasme, celui de la peur du jugement,
de la peur de la punition et surtout de cette inimitié nourrie envers Lui.
La croix annonce la fin des hostilités et une réconciliation rendue
possible en Jésus.
|  | Les femmes au
pied de la croix. Marc nous dit : Il y avait aussi des femmes qui regardaient de
loin. Parmi elles, Marie–Madeleine, Marie, mère de Jacques le Mineur et de
José, et Salomé, qui le suivaient et le servaient lorsqu’il était en Galilée,
et beaucoup d’autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem (15,40-41). Aucun
disciple n'est mentionné. Seul Jean y était peut-être car il est dit en Jean
19:26 Jésus, voyant sa mère et, près
d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voici ton fils.
Luc dit en résumé: Tous ceux qui le connaissaient, et les femmes qui l’avaient
accompagné depuis la Galilée, se tenaient à distance et regardaient ce qui se
passait (23.49). Les proches contemplent avec effroi et tristesse indicible
l'agonie et la mort du Juste, de l'Innocent. On peut imaginer sans peine le
choc du spectacle; tous sont cloués d'impuissance, paralysés d'horreur. En
danger de haine contre ces barbares de romains et les autorités juives. En
proie avec l'angoisse devant le mal. Toutes les femmes savent qu'elles auront à
s'occuper de son corps une fois le maître mort; alors là elles guettent ce que
le Saint va faire ou dire. La surprise est totale: il interpelle Dieu (Pourquoi
m'as-tu abandonné?), il remet son âme en déclarant que tout est accompli et il
pardonne aux bourreaux qui ne savent ce qu'ils font. Il va ainsi au bout de ce
qu'il avait proclamé en demandant l'amour des ennemis. Dans
sa vision nouvelle, il développait une critique radicale de la richesse et de
l’abus des biens matériels, du pouvoir du temple, des pharisiens et des
prêtres, de l’exclusion des malades, des pauvres ou encore du non-sens des
tabous religieux. Ainsi, une grande partie de l'agressivité contenue dans la
vie et le sacré était détournée, déplacée et symbolisée dans une nouvelle
vision de l'amour et de la réconciliation, dont le nouveau commandement de
l'amour des ennemis occupait le centre. À la croix, haine et amour
s'opposent: la violence d'une mise à
mort barbare et le refus si noble d'appeler à toute vengeance ou
contre-violence. Par ce choix héroïque, l'angoisse qui ne cesse de nous
entraîner vers le mal est vaincue tout comme le désespoir. La Bonté demeure.
Identifiable à jamais. Celle justement ce désir qui devrait être au cœur de
tout: dans nos pensées, nos désirs, nos actes. Dans nos accueils, nos
jugements, nos retenues ou nos solidarités. La croix est la victoire de la
Bonté sur l'horreur, elle symbolise la possibilité d'un retour à soi-même, à ce
qui nous donne vraiment de vivre, d'être pleinement humains, et à ce qui vaut
d'être vécu. Nous resterons bien sûr sous le règne de l'angoisse à vouloir plus
de confort, de sécurité, de puissance, de gloire, de jouissances à tout-va.
Nous utiliserons pour cela de nombreuses stratégies comme des drogués en
manque: la force, la ruse, le mensonge, la manipulation, la dette imposée, le
chantage, la séduction, le bluff, etc. Tout est bon pour asseoir son bonheur ou sa sécurité ! Nous
projetterons sur les autres nos rancœurs, nos frustrations et nos échecs; nous
connaîtrons les affres de l'avidité. de la convoitise et de la rivalité qui se
déclinent dans l’appropriation, l’exploitation ou l’abolition de ce qui
s'oppose à notre épanouissement personnel. C'est humain ! C'est le péché: la
vie soumise au néant et au non-amour. Mais à travers la croix, à travers Jésus,
par sa médiation nous est donnée une nouvelle approche de la vie et des
vivants. La gratuité de la Bonté divine nous annoncent une Bonne Nouvelle:
l'angoisse peut être vaincue et le péché dépassé. La grâce divine nous libère
pour l'amour fraternel et pour tout ce qui est bon ou positif, beau, utile,
nécessaire, pratique, etc. | 
L'homme enfermé en lui-même, réduit à son
individualité naturelle, immergé dans les soucis de la vie temporelle, s'aliène
aux nécessités de la survie existentielle : s'installent la peur de manquer,
l'angoisse de l'insécurité, la hantise de la solitude, qui trop souvent font
prendre des décisions qui engendrent des conséquences fâcheuses et alourdissent
le fardeau du quotidien. Cette aliénation au monde visible, extérieur à cet
univers clos où tout est référé à nos perceptions et à nos conceptions, c'est
le mouvement de l'égocentrisme.
Le repentir est une ré-orientation du désir qui
s'exprimait par rapport au monde et qui maintenant est orienté vers Celui qui
est Source de désir en nous car il est Source de vie. Et bien sûr Source de changements: 
| Le tombeau vide est le symbole de la mort vaincue; il
y est question d'une transformation, d'une résurrection, d'une renaissance, de
l'expérience que la lumière ne peut pas s'éteindre et l'amour refroidir. En
cette crucifixion barbare se dit autre chose pour l'évangéliste Jean: un
jugement, un accomplissement, un redressement, un renouvellement du monde, la
fin de l'angoisse dans la force du pardon divin, la possibilité d'être
réconciliés avec le Père, soi-même et les autres. Cette Bonne nouvelle devait
être annoncée à celle qui avait connu l'effroi d'être possédée de 7 démons dont
Jésus l'avait délivrée ( Luc 8,2). Marie de Magdala avait connu l'angoisse
profonde d'être dispersée, intérieurement dissociée et déchirée, envahie sans
aucun appui ferme, poussée par des forces dont sa volonté ne pouvait venir à
bout. Alors, Marie de Magdala aimait profondément Jésus: il était pour elle la
délivrance et elle vivait par lui tous les jours dans la reconnaissance de la
souffrance dépassée. Alors bien sûr, elle ne pouvait abandonner son sauveur
attaché au poteau d'infamie. Mais ce jour-là, elle est un peu morte avec lui.
Elle survit désormais dans la douleur d'un bonheur détruit, d'un amour anéanti:
ne lui reste que le tombeau, un corps à s'occuper. Pourtant, c'est la surprise
totale: la pierre est roulée, le tombeau est ouvert. L'angoisse ! L'évangile de Jean raconte
les choses ainsi: 11 Cependant Marie se tenait dehors, près du tombeau,
et elle pleurait. Tout en pleurant, elle se baissa pour regarder dans le
tombeau.
12 Elle voit
alors deux anges vêtus de blanc, assis là où gisait précédemment le corps de
Jésus, l’un à la tête et l’autre aux pieds.
13 Ils lui
dirent : Femme, pourquoi pleures–tu ? Elle leur répondit : Parce
qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis.
14 Après avoir
dit cela, elle se retourna ; elle voit Jésus, debout ; mais elle ne
savait pas que c’était Jésus.
15 Jésus lui
dit : Femme, pourquoi pleures–tu ? Qui cherches–tu ? Pensant que
c’était le jardinier, elle lui dit : Seigneur, si c’est toi qui l’as
emporté, dis–moi où tu l’as mis, et moi, j’irai le prendre.
16 Jésus lui
dit : Marie ! Elle se retourna et lui dit en hébreu :
Rabbouni ! –– c’est–à–dire : Maître !
17 Jésus lui
dit : Cesse de t’accrocher à moi, car je ne suis pas encore monté vers le
Père. Mais va vers mes frères et dis–leur que je monte vers celui qui est mon
Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu.
18
Marie–Madeleine vient annoncer aux disciples qu’elle a vu le Seigneur et
qu’il lui a dit cela.
Marie de Magdala est chamboulée; elle est dans le lien avec Jésus, dans le
passé qui envahit tout et l'empêche d'avancer ; le corps a disparu comment
pourrait-elle faire son deuil ? Le texte nous invite à voir et à croire: Jésus le crucifié est bien le ressuscité.
Marie voit un ange. Pas son Rabbouni; elle le réalise quand il l'interpelle
personnellement; c'est sa voix qui la fait se retourner, la prend par surprise,
c'est bien lui. Jésus lui demande brutalement ne de pas s'accrocher à lui,
comme si cela pouvait l'empêcher de rejoindre le Père. Mais il lui confie une
mission importante: aller annoncer LA nouvelle aux disciples. Tout est changé
car désormais retentissent les annonces de Jésus au chapitre 14, dont
celles-ci:
18 Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viens
à vous.
19 Encore un
peu, et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, parce que,
moi, je vis, et que vous aussi, vous vivrez.
20 En ce
jour–là, vous saurez que, moi, je suis en mon Père, comme vous en moi et moi en
vous.
21 Celui qui
m’aime, c’est celui qui a mes commandements et qui les garde. Or celui qui
m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l’aimerai et je me
manifesterai à lui.
Marie de Magdala peut être consolée: son Maître tant aimé est vivant. Il sera
notre avocat auprès du Père, celui qui compatit aussi à nos faiblesses.
L'avenir s'ouvre ainsi: le tombeau de nos inimitiés, de nos doutes, de nos
ressentiments est vidé. Entre Dieu et les hommes, désormais l'angoisse, la culpabilité et la peur du jugement n'ont plus le dernier mot. Par
Jésus-Christ, Dieu redevient notre Père bon et aimant duquel nous pouvons être proches. Être avec Lui en cocréation... | 



  
| Toutes ces figures féminines nous invitent à préférer le plus humain de l'humain la collaboration, le partage, le respect mutuel, la confiance mutuelle, l'amour, l'empathie, la compassion ou l'altruisme. Nous nous invitent aussi au dépassement de nos fragilités: elles nous encouragent à demander au mystère divin de nous
aider à nous écarter de cette quête absurde d’une image idéale de soi-même et
de la volonté de nous rendre aimable qui nous pousse invariablement à l’hypocrisie
et au mensonge. Nous nous en irons vers le courage d’être chacun avec ses
ombres et ses lumières en faisant face aux autres sans honte, faux semblant, tristesse ni
désespoir.
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