Ce relativisme obligé peut conduire au tout est permis, à la démesure...Elle s'exprime dans le pouvoir politique, la puissance des dirigeants économiques, à travers la gloire, le sexe (CF. l'affaire Weinstein!), le faire étalage des riches ou encore à travers les innovations technologiques.
Le concept d’hubris est tiré non seulement de la psychanalyse, mais également dans la philosophie grecque – on le retrouve chez Platon et Aristote – On retrouve aussi ce concept au théâtre, où il permet de raconter de grandes épopées, où le succès monte à la tête du héros, qui prétend se hisser au rang des dieux ; il est alors impitoyablement remis à sa place par Némésis, la déesse de la vengeance. L’hybris grec renvoie à la démesure et à ses conséquences funestes. Malheureusement, il n’existe pas en français d’équivalent satisfaisant au mot anglais hubris. Une approximation serait « orgueil démesuré ». Mais le champ sémantique du terme anglais est beaucoup plus large : il associe narcissisme, arrogance, prétention, égotisme, voire manipulation, mensonge et mépris. Le terme renvoie également à un sentiment d’invulnérabilité, d’invincibilité et de toute-puissance, en y associant un certain pathétique. Comme le narcissisme, l’hubris désigne aussi un manque d’intérêt pour tout ce qui ne concerne pas le sujet personnellement, une absence générale de curiosité. La caractéristique principale de l’hubris est qu’il est visible de tous, sauf du principal intéressé et de ses fidèles. Adapté à la politique, on voit immédiatement se profiler quelques candidats au syndrome d’hubris, mais D. Owen se focalise surtout sur l’analyse des chefs d’État britanniques et américains.
Par Sebastian Dieguez est neuropsychologue au Laboratoire de neurosciences cognitives du Brain Mind Institute de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse. Ce mélange de narcissisme, d'arrogance, de prétention, d'égotisme, de manipulation, de mensonge et de mépris est intimement lié au besoin viscéral d'ajouter une valeur à la vie afin de se singulariser. La démesure assure le frisson d'être vraiment à part, hors du commun ! Elle en apporte la preuve...
Oui, évidemment: elle s'est exprimée ici de diverses manières à travers le fanatisme, l'Inquisition, le terrorisme, la chasse aux sorcières, la flagellation, la contrition, les privations, la terreur de l'enfer, etc.
Faut-il en chercher les origines à l'origine, c'est-à-dire en Jésus?
Une lecture superficielle pourrait le laisser croire ; en voici quelques exemples:
- Matthieu 18:9 Et si ton œil doit causer ta chute, arrache–le et jette–le loin de toi ; mieux vaut pour toi entrer borgne dans la vie que d’avoir deux yeux et d’être jeté dans la géhenne de feu.
- Marc 9:45 Si ton pied doit causer ta chute, coupe–le ; mieux vaut pour toi entrer infirme dans la vie que d’avoir tes deux pieds et d’être jeté dans la géhenne.
Romains 12:20 Mais si ton ennemi a faim, donne–lui à manger ; s’il a soif, donne–lui à boire ; car en agissant ainsi, ce sont des braises que tu amasseras sur sa tête.
Le Dieu chrétien n'est-il pas le Dieu d'amour ? Que lui est-il arrivé?
On l'a changé peut-être en moraliste sec, qui ne connaît que le devoir ; ou, du Dieu de chair, présent dans Jésus, on a fait le Dieu froid et vide du déisme.
Cela arrive, en effet. Mais cela ne suffit point à expliquer l'apparition, dans le champ chrétien, du monstre inimaginable : car c'est bien quand il est « amour » qu'il est le pire. Ecoutons.
Dieu est amour: il donne tout, il pardonne tout, il se donne lui-même jusqu'à mourir pour nous, en son Fils, sur la croix. Sa grâce inépuisable nous fait entrer dans la vraie vie, joie, liberté, amour.
Seule condition: croire et l'aimer. Et comment ne l'aimerions-nous pas comme il nous aime? La vraie vie, c'est de lui donner tout et porter notre croix. Et, puisque « Dieu aime celui qui donne avec joie », nous traduirons l'échec en bonheur, nous offrirons à l'Amour la maladie, la solitude, la dépression, la vie ratée. «Tout est grâce. »
Dieu aime tant qu'il exige tout, veut pour lui seul tout notre désir, détruit tout ce qui eût fait notre joie trop humaine.
A quiconque voudrait échapper à son amour implacable, Dieu oppose la menace terrifiante de la perte absolue, éternelle. Celui qui ne vit pas pour Dieu ne doit plus être que faute et tristesse. Ainsi, dès que nous osons vivre pour nous notre propre vie, Dieu n'est plus que ressentiment. Et comme ce désir en nous est trop fort pour s'effacer devant l'Amour, aimer Dieu c'est se haïr, c'est vouloir la mort, vouloir le néant (comme disait Nietzsche).
Mais alors.., il ne nous aime pas du tout! Car nous, « si méchants que nous soyons» (comme dit l'évangile), nous sommes tout de même capables d'aimer plus généreusement.
Découverte terrible: le Dieu bon n'est pas bon, mais cruel. Despote arbitraire, père indigne, surveillant mesquin et odieux, sadique avide de notre douleur: accablante litanie.
Découverte interdite ; car c'est là ce qu'il ne faut pas dire, ni murmurer, ni se dire à soi-même. Ce blasphème serait la faute irréparable qui nous ferait perdre l'amour de Dieu, c'est-à-dire perdre tout.
Si donc il est cruel, c'est encore, nécessairement, de ma faute. C'est que je suis si mauvais que je n'arrive pas à ne pas le haïr. Il n'est pour moi ce monstre que parce que je suis moi-même un monstre. Je suis coupable à fond, coupable d'exister. Ma faute, c'est d'être né.
Il ne me reste, pour justifier Dieu, qu'à me haïr moi-même enfin sans réserve, c'est-à-dire à me damner. Que je me fasse enfer, puisque je ne sais vivre son amour que comme ma perte. Le seul chemin qui me reste est de m'emmurer dans cette folie.
Impossible de lui échapper. Devant la froide Nécessité, dignité et résignation. Devant Moloch le dévorant, payer le prix ou se révolter. Mais devant le feu de l'Amour ? Rien d'autre que vivre intensément la contre-vie, désirer à contre-désir, naître à la contre-naissance.
Là se noue le désespoir absolu.
Si, enfin, le nœud se défait, explosion de fin du monde. I Dieu d'amour n'était pas seulement cruel, mais pervers.
Les déviances du dieu pervers peuvent faire apparaître le Christ sous les traits du grand masochiste qui meurt pour des fautes qu’il n’a pas commises, avec un père sadique qui jouit de la souffrance de son fils, mettant ainsi en place les sadismes chrétiens mortification, martyre, dévouements destructeurs, éducation féroce ou doucereuse visant à humilier, asservir, frustrer, etc. Sous les traits de l’homosexuel avec Jean le tendre ami, des disciples qui rivalisent pour prendre la place de l’élu, Judas en amoureux déçu. Sous les traits du schizophrène perdu dans les mirages de la vie éternelle, dissocié de la réalité des choses, absent au monde réel. Sous les traits du paranoïaque, sûr de la vérité, il est la vérité, victime du complot universel contre lui. Comme obsessionnel qui ne veut perdre aucun iota de la loi, en quête obsessionnelle de perfection. Du grand corrupteur du désir qui exalte les contre-valeurs (pauvreté, douceur, abstinence) mais qui serait au final un grand malade qui nomme bonheur le malheur, grandeur la bassesse, amour l’impuissance fielleuse, etc. Comme pervers qui cache sous une simplicité de cœur ou son amour de la vie, une haine du monde, une dureté et une cruauté.
Pour Maurice Bellet le divin se manifeste : " sa joie est que vive la vie ; sa divine joie est en les naissances, en les guérisons, en les libérations, en toutes créations, en surgissement par-delà les montagnes et les océans de mort. Mais en même temps, il est justement jouissance. Aussi éloigné d’un altruisme qu’étouffe le devoir que d’un égoïsme qui est finalement suicidaire. Il n’y a pas à se justifier. Il n’y a pas à se condamner. À chaque jour est donné le pain de chaque jour." Il s'agira de consentir à notre double nature : à cette humanité fragile, faillible et mortelle d'où surgit souvent un cloaque d'iniquités. Et se risquer pourtant à cette Présence ineffable, à l'expérience d'une puissance de Vie, qui couvre tout, espère et endure tout, capable de faire reculer nos fascinations pour la mort et le mortifère du non-amour, dans le grand désir que tout soit sauf en tous, par cet Accueil où chacun va comme il peut, d'où il est, comme il est, sans crainte ni désespoir, un humain parmi les autres. Naître là, dans cette Présence ineffable est lutte pour maintenir le désir que tout soit sans rudesse ni violence vécue dans la patience d'avancer à son pas comme dans le refus de (se)faire violence. Tout est appelé ici à être relations justes, renaissances, puissance critique et processus créatifs en lien avec le Tout, Dieu, le vide quantique, la divine matrice, etc.).
C'est un presque rien qui nous sauve du Chaos et du Néant mais surtout de la fascination pour la violence adaptative ou réactive qui peut nous habiter quand nous sommes insatisfaits de notre vie: « Car l’homme qui ignore le sens de son être ne pourra que ressentir une insatisfaction profonde qui le ronge. Sauf à se soumettre pour n’être qu’un automate intégré aux institutions régnantes, il la combat par l’avidité du pouvoir et la volonté de détruire ; il s’attache aux choses sans doute, mais surtout à autrui où il projette ses déceptions et ses rancœurs. L’être humain est alors l’être qui massacre. Il dépouille, il tue à défaut d’être parce qu’il y trouve la justification de son moi dans l’appropriation, l’exploitation ou l’abolition de ce qui s’y oppose . » (Jean-Marie Delassus, Neurologie de l'être humain, de la structure à l'existence, éd. Encre Marine, p.322.)
La démesure est profondément liée à l'insatisfaction qui alimente nos besoins narcissiques, sadiques et masochistes, ou plus simplement encore nos besoins de sécurité, de confort matériel, de richesses matérielles, de pouvoir, de gloire ou de jouissance. Une prise de conscience et une distanciation sont nécessaires ! Tout peut être exagéré ou minimisé: l'argent, le pouvoir, la couleur de peau, la masculinité, la féminité, le sexe, l'église, l'obéissance, la liberté, etc.
Tout est donc à équilibrer. C'est la raison d'être des approches spirituelles, de la méditation, etc. Le physicien Philippe Guillemant en résumait ainsi les enjeux:Le choix à faire est clair: l'Eveil nous permet de "passer du besoin au désir, du charnel
au spirituel, c'est aller vers la joie de tout l'être et non pas vers la
satisfaction d'un besoin partiel. Pour y arriver, il faut quitter le jeu des
identifications stériles à la vie des autres ou à leur personne." Sortir des passions aliénantes - notamment du Grand Tout et du Grand Rien de la jouissance consumériste - comme de l'égotisme.
Tout un programme...
Toute une aventure passionnante...